[Recherche] Des stéréotypes de genre et du sexisme en entreprise : intérêts, outils, posture et limites du coaching

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En 2021, j’ai choisi de me former chez LinkUp Coaching afin d’ajouter le coaching à ma palette d’activité, d'enrichir mon approche d’accompagnement en entreprise et sans doute, par la suite, de développer une offre de coaching individuelle. Au cours de ce cursus certifiant, j'ai été amené à mener un travail de recherche, donnant lieu à un mémoire, dont le sujet m'est venu de façon très évidente. Impliquée depuis près de 4 ans dans différents réseaux qui accompagnent des femmes en reconversion, je suis sensible au sujet de l'égalité professionnelle et au fait que les stéréotypes de genre peuvent entraver le développement du potentiel individuel, ternir les relations interpersonnelles, voire générer du stress ... tandis que, selon l’OCDE, la croissance économique mondiale pourrait bénéficier d’un monde professionnel plus mixte : le PIB pourrait même augmenter de 12% en 20 ans ! 

Partant de ces constats et de l’actualité de la crise sanitaire dont on voit qu’elle a plutôt accentuer les inégalités entre les genres, je me suis demandée, si en plus des outils déjà existants pour lutter contre les stéréotype de genre et le sexisme en entreprise, le coaching en s’attachant à une meilleure connaissance de soi, de ses croyances et de ses fondements identitaires, ne permettrait pas aux individus de dépasser leurs stéréotypes. 

Résumé illustré de ce travail de recherche qui s'est appuyé sur de nombreuses lectures, des études nationales et internationales, des interviews et l'animation de 6 ateliers dans le milieu professionnel.

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Les études sont unanimes : les entreprises et la société ont un intérêt direct à favoriser davantage la mixité et l’égalité professionnelle … Certaines montrent d’ailleurs le rapport direct entre performance de l’entreprise et le taux de féminisation, notamment des instances dirigeantes. Le législateur l’a bien compris et renforce depuis un certain nombre d’année lecadre légal pour lutter contre les inégalités. Un travail de longue haleine, car en 2021, les femmes gagnent toujours 23 % de moins que les hommes enmoyenne et elles sont 80% à se dire régulièrement confrontées à des attitudesou des décisions sexistes et qui ont pour conséquence un sentiment d’humiliations, du stress, le sentiment d’injustice, de colère mais aussi une modification deleur comportement et des conduites d’évitement.  

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Pour comprendre le phénomène, rappelons comment fonctionnent les stéréotypes. Vous le savez, les stéréotypes sont un phénomène cognitif naturel. Pour penser, pour faire face à la multitude et la complexité des informations accumulées par notre cerveau, nous avons tous un système de catégorisation pour classer, organiser, présenter l’information en exagérant les ressemblances ou les différences. Ces stéréotypes jouent aussi un rôle dans notre identité sociale puisqu’ils nous permettent de nous reconnaître mais également de partager les mêmes codes avec les personnes de notre groupe social d’appartenance. Ils influencent également nos actes quand naturellement nous adaptons notre comportement à ce que nous pensons des attentes ou besoins des individus d’un autre groupe. 

Mais du stéréotype au préjugé voire à la discrimination, le pas est malheureusement bien souvent vite franchi… 

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En matière de stéréotype de genre, on distingue ainsi les auto-stéréotypes (ceux que j’ai en tant que femme sur les femmes ou en tant qu’homme sur les hommes), les hétéro-stéréotypes (ceux que j’ai en tant que femme sur les hommes et vice-versa) et enfin, le méta-stéréotype (ceux que, en tant que femme, je pense que les hommes pensent des femmes). Ce dernier type est le plus impactant dans la vie professionnelle. En effet, si les femmes pensent que les hommes les estiment inférieures en termes de compétence, alors comment se présenter avec assurance pour demander une promotion ou postuler à une fonction managériale. C’est à ce type de stéréotype que l’on doit l’autocensure ou l’autosabottage qui expliquent que les femmes ne postulent que lorsqu’elles sont sures d’avoir 95% des compétences requises tandis que les hommes le font dès qu’ils estiment être en possession de 60% des compétences attendues. Il endécoule une sorte de prophétie autoréalisatrice, puisque les femmes ne postulant pas, donnent le sentiment aux hommes qu’elles ne sont pas concernées par leur carrière renforçant l’hétérostéréotype des hommes sur les femmes, et chez les femmes l’autostéréotype selon lequel elles ne sont pas à la hauteur. 

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C’est cette spirale qui alimente le phénomène du sexisme, dont on distingue la version hostile qui met en avant la supériorité des hommes sur les femmes, par de l’humour ou des comportements déplacés, et des versions plus subtiles voire bienveillantes, qui valorise la douceur et la vulnérabilité des femmes, continuant ainsi de promouvoir une vision sexuée des rôles au travail. 

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Que peut alors apporter le coaching ? En développant une conscience plus élevée de soi chez l’individu, le coaching peut permettre de travailler à déconstruire les croyances et représentations associés aux stéréotypes et grâce à la plasticité cérébrale, permettre de nouveaux automatismes de pensées et de comportements associés. 

D'abord en coaching individuel, partons du principe que tous les genres peuvent etre concernés par le sujet de stéréotype, soit à travers une demande directe portant sur une difficulté rencontrée en lien avec le sexisme ou les stéréotypes de genre, ou plus vraisemblablement à travers une demande sous-jacente qui implique l’estime de soi, la confiance en soi, les relations interpersonnelles de travail, ou encore l’évolution professionnelle.  

Au travers de  son écoute bienveillante, du questionnement, le coach va pouvoir explorer le contexte professionnel de son client, les difficultés qu’il ou elle rencontre et sa représentation de son rôle. 

Avec différentes grilles de lecture distinguant dans l’exposé du client sa perception d’une situation, de ce qui relève de l’interprétation, de son jugement ou de ses règles personnelles, le coach va pouvoir déceler ce qui relève des stéréotypes et travailler avec lui pour déconstruire un certain nombre de croyances limitantes liées à des auto, hétéro ou métastéréotypes. Le coach aura également comme intentionnalité de renforcer le socle identitaire de son client au travers notamment du questionnement sur ses valeurs et les besoins associés : en effet, dans un contexte de travail qui peut être sexiste, des valeurs, de réussite, d’autonomie, de respect, de liberté peuvent être bafouées au quotidien. La déconstruction des stérétotypes limitants pourra également passer par un travail sur les émotions, pour distinguer les émotions de surface extérieures, « permises » par la société, des émotions plus profondément enfouies, voire inconscientes. L’intentionnalité du coach va être à la fois de développer chez son client la connaissance de soi mais aussi l’accueil et la permission des émotions. Un moyen également d’identifier les besoins associés et de travailler avec lui sur la Communication Non Violente et l’expression de ses limites notamment en tant que victime ou témoin de situations de sexisme. 

Questionner les "drivers" de l'individu (voir les travaux de Taibi Kahler) peut être intéressant également : ceux-ci ne pourraient-ils pas s’auto-renforcer avec les stéréotypes de genre ? En effet, par exemple, un « fais plaisir » qui pourrait être présent chez une femme, peut être renforcé si la cliente a également intégré un autostéréotype selon lequel les femmes sont à l’écoute, au service des autres, chaleureuse, aidante. Et vice-versa : le driver peut également renforcer le stéréotype. On peut se questionner de la même façon avec un « Sois fort » pour un homme ou un « Sois parfaite » chez une femme.     

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Au-delà du travail que le coach peut faire avec son client, soulignons les limites du coaching également : la thématique des stéréotypes de genre peut faire émerger des sujets graves tels que le harcèlement sexuel ou encore des traumatismes liées à des violences sexuelles subies, que le coaching ne pourra pas accompagner.  La posture du coach, et en particulier parce que le coach lui-même est une femme ou un homme avec sa propre représentation de son genre et des autres genres, est particulièrement sensible : la supervision du coach, l’auto-évaluation seront autant de garde-fous pour garantir sa neutralité, sa bienveillance essentielle au rapport collaboratif mais aussi contre les risques de transfert et contre-transfert qui pourraient être liés au travail sur cette thématique.

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Après avoir exploré le travail en coaching individuel, intéressons-nous à l’apport et aux limites du coaching d’équipe pour travailler sur les stéréotypes de genre et le sexisme dans le cadre professionnel, avec dans l’outillage du coach notamment, des entretiens individuels mais aussi l’observation des jeux de rôle au travers de la grille de lecture de l’Analyse Transactionnelle, formalisée par Eric Berne. Certains "états du moi" ne seraient-ils pas renforcés par les stéréotypes de genre ? Par exemple que dire d’une femme qui se positionne régulièrement en parent normatif, dans le soutien et l’attention à l’autre comme pourrait l’être une mère vis-à-vis de ses enfants et allant chercher chez ses collègues systématiquement un état enfant ? Mais on peut aussi se poser la même question avec l’état parent persécuteur ou encore le parent nourricier. En identifiant la récurrence de certaines transactions systématiquement adoptées par certains acteurs de l’équipe, le coach pourrait peut-être y déceler l’expression de certains stéréotypes de genre. Le coach pourra proposer des ateliers sur le mode contributif pour « purger » les tensions au sein de l’équipe ou encore un atelier sur les valeurs partagées pour faire émerger des pratiques qui lient les membres de l’équipe. Le jeu et le visuel peuvent aussi être des supports au coaching d'équipe pour mettre les membres de l’équipe en questionnement, en mouvement. 

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Comme pour le coaching individuel, le coaching d'équipe peut revêtir certaines limites par rapport au sujet du sexisme en entreprise, notamment si le coach décèle dans le cadre de sa mission, des dérives de l’ordre du harcèlement sexuel, qui nécessite qu'il exerce son devoir d’alerte.  

La posture et la neutralité du coach sont à nouveau clé dans le coaching d'équipe. Le sujet du genre peut être polémique et le coach n’est pas là pour partir en croisade en promouvant une vision militante du sujet. Là encore, mettre de côté ses propres représentations va être essentiel pour ne pas sur interpréter des situations lors de la phase de diagnostic, ni tomber dans le jugement, ou les leçons de moral. Le cadre déontologique du coaching lui sera à nouveau particulièrement précieux pour cadrer son rôle et adopter la posture appropriée. 

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A titre personnel, ce travail de recherche m’a amenée à prendre conscience de la réalité des stéréotypes, de leur rôle éminemment identitaire et social et de leur influence sur l’estime de soi et les comportements, mais aussi de l’intérêt et des limites du coaching pour aborder cette thématique qui peut devenir particulièrement polémique et dans laquelle le coach peut se retrouver lui-même pris à parti s’il n’a pas conscience de sa propre représentation du genre. 

Pour aller plus loin, il serait intéressant d'explorer le sujet de l’intersectionnalité puisqu’aux stéréotypes de genre, peuvent se superposer d’autres stéréotypes liés à l’âge, à la culture, à la classe sociale, au fait d’etre porteur d’un handicap, en surpoids etc.  

Il y a, en tous cas, encore fort à faire sur le sujet des stéréotypes, le législateur ne peut pas tout résoudre, ni même la formation ou le coaching seuls, et ce sont bien tous les efforts collectifs, des femmes comme des hommes, qui contribueront à faire bouger les lignes au service d'un monde plus juste et plus inclusif.