[MOOC] Entreprenariat et effectuation : une démarche à découvrir

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Grande consommatrice de MOOC, j’ai récemment suivi le cours en ligne proposé par la plateforme Coursera et l’EM Lyon sur l’effectuation, animé par l’éminent professeur, auteur, multi-entrepreneur, Philippe Silberzahn.
Même si je reconnais n’avoir pas pris le temps de réaliser tout le travail exigé par ce MOOC, notamment corrigé par les pairs, les vidéos de ce cours en ligne mettent à jour une approche de l’entreprenariat, qui sans être nouvelle, bouleverse la vision classique de l’innovation (voir également sur le sujet mon billet sur le MOOC Innovation et société) et démystifie les nombreux mythes autour de la création d’entreprise. Et cette démarche est d’autant plus intéressant qu’elle peut également s’appliquer à l’intrapreneuriat en entreprise. Alors que faut-il retenir ?

Les entrepreneurs sont des gens comme les autres

Au cours de la première semaine du MOOC, Philippe Silberzahn nous invite à nous interroger sur les mythes qui circulent autour de l’entreprenariat, légendes souvent soutenues par le storytelling et les biographies de quelques « grands » entrepreneurs qui ont marqué leur temps : d’Henri Ford à Bill Gates en passant par Steve Jobs. Un par un, Philippe Silberzahn nous propose de déconstruire ces mythes pour nous montrer que les entrepreneurs sont finalement des gens comme les autres…
- Non les entrepreneurs n’aiment pas plus prendre des risques… Malgré l’image d’Epinal tenace, aucune étude ne montre que les entrepreneurs affectionnent la prise de risque, qu’il s’agisse de risquer son emploi, ses revenues, ses économies, … Au contraire, ce qui caractérisent les entrepreneurs comme les cascadeurs au cinéma, c’est qu’ils essayent de contrôler ou de réduire le risque, par exemple, en limitant les investissements de départ, ou encore en avançant dans leur projet étape par étape, voire en partageant le risque avec d’autres. Ce ne sont pas des têtes brûlées qui misent le tout pour le tout comme si l’aventure entrepreneuriale ressemblait à une partie de poker au casino. Déterminer un niveau de risque acceptable et le borner, procéder par étape, s’appuyer sur d’autres pour minimiser la part de risque de chacun, sont les comportements les plus souvent observés chez les entrepreneurs.
- Non les entrepreneurs n’ont pas tous une idée géniale pour se lancer… Le mythe de l’entrepreneur visionnaire est également un mythe tenace dont le corolaire est sans doute : sans grande idée, pas de projet entreprenarial possible… Voilà de quoi couper les ailes de bien des jeunes entrepreneurs . Et pourtant en pratique, qu’il s’agisse de Wallmart, de Facebook, d’Ikea ou tant d’autres, les débuts étaient modestes et la vision s’est forgée au fil de l’avancée du projet. Le résultat tient davantage du processus qui a construit l’identité de l’entreprise, par l’interaction avec ses premiers clients, fournisseurs, partenaires, salariés, que de l’idée géniale de son créateur avant de se lancer. Une idée simple, banale, même qui existe déjà, nous dit Philippe Silberzahn, peut suffire, ce qui compte c’est de la frotter à l’action, aux autres, pour la faire progresser et faire vivre le projet, et de cette confrontation avec le terrain, la vision finira par émerger.
- Non les entrepreneurs ne sont pas des experts en prévision. L’entrepreneur visionnaire est aussi celui qui sait lire dans le marc du café les chiffres et le potentiel de croissance de son marché ? Encore une fausse idée qui nous laisse penser que les entrepreneurs qui réussissent sont des sortes d’oracle capables de déterminer où vont les vents… Bien au contraire, des entreprises florissantes aujourd’hui comme Swatch, Zara ou Starbucks qui se sont lancés sur des marchés dits à leur époque « sans avenir », sont là pour nous prouver qu’il ne faut pas baser nos projets sur des prédictions, fuir les études de marché qui ressemblent à de la futurologie, et oser se lancer, certes modestement, pour transformer peu à peu, par nos actions et interactions, un environnement…
- Oui les entrepreneurs sont comme nous tous… Dans la famille des Super-héros, je voudrai L’Entrepreneur ! Charismatique, organisé, orateur et vendeur hors pair, inventeur génial, … bref tout le portrait d’un superman des temps modernes dont l’ubérisation n’a d’égale que la kryptonite… Mais en réalité aucune étude ne met en avant des caractéristiques propres aux entrepreneurs que nous ne possèderions pas ! L’entreprenariat est un phénomène universel dans lequel on trouve une grande diversité de profils et de personnalités, et les entrepreneurs comme tout le monde ont leurs forces et leurs faiblesses. Comme le dit Philippe Silberzahn, « il n’y a pas d’entrepreneur unique, l’entrepreneur c’est tout le monde ! »
- Non les entrepreneurs ne réussissent pas tout seuls… L’autre caractéristique du super-héros c’est sa solitude ! Seul contre les méchants, seul replié dans sa grotte…et les biographies d’entrepreneurs trop souvent écrites au singulier entretiennent ce mythe… alors qu’en réalité, qu’il s’agisse d’Henri Ford, de Bill Gates ou plus proche de nous du Baron Bic, leur réussite est d’abord celle d’une équipe ! On peut démarrer son aventure entrepreneuriale seul mais s’associer à d’autres permet d’accélérer le projet : nouvelles compétences, nouvelles idées, enthousiasme renouvelé, … C’est la capacité à susciter de l’engagement, à travailler avec d’autres, combinées à une bonne dose de leadership qui permettront à l’entrepreneur de bien s’entourer, d’obtenir la confiance des investisseurs et de faire progresser le projet.

Cinq principes au cœur de l'effectuation

Alors une fois qu’on a déconstruit les mythes de l’entreprenariat, en quoi consiste l’effectuation ?
Le concept est en fait né de la démarche d’une étudiante américaine Sara Sarasvathy, qui se pose dans ses travaux de recherche, la question de la logique des entrepreneurs pour avancer, créer des marchés etc. Elle se rend vite compte qu’elle ne peut s’appuyer sur les récits des entrepreneurs qui, après la réussite, ont oublié certains épisodes ou mettent en avant des facteurs qui ne sont pas forcément clés dans leur réussite. Elle met alors en place un protocole où elle confronte des entrepreneurs avec des situations typiques de l’entreprenariat et les observent réfléchir à haute voix et résoudre ces problématiques. Au lieu d’une approche dite causale qui consiste à définir un objectif et un plan d’action pour l’atteindre, les entrepreneurs font avec ce qu’ils ont sous la main, un peu comme quand vous recevez à la dernière minute des amis pour dîner et que vous composez avec les restes du frigo. C’est ce qu’elle appelle l’effectuation.
Et celle-ci s’appuie sur 5 principes très clairs et tout à fait universels que nous détaille Philippe Silberzahn :
- « Un tien vaut mieux que deux tu l’auras » : cette expression qui nous fait penser à nos grands-mères est une des clés de l’entreprenariat : les ressources dont l’entrepreneur dispose aujourd’hui sont plus importantes que d’essayer d’aller en chercher de nouvelles que je ne suis pas sur d’obtenir ! Alors que détient l’entrepreneur pour commencer ? D’abord, ce qu’il est ! Son histoire, sa personnalité, qui va donner un style particulier à son projet. Ensuite ce qu’il connaît, son expérience, ses connaissances, qui là également apporteront une réponse singulière à un problème donné. Et enfin, qui il connait, son réseau, entre 400 et 500 personnes en moyenne autour de nous qui seraient prêtes sans doute à nous aider… Autant dire que le frigo de l’entrepreneur qui se lance n’est pas vide, non ?
- La perte acceptable : ce 2nd principe de l’effectuation correspond au raisonnement qui va guider l’entrepreneur au démarrage : nous l’avons vu, il n’a pas de raison de prendre des risques irraisonnés, il va donc estimer les coûts et chercher à les limiter soit en calculant ce qu’il est prêt à perdre, soit en partageant le risque avec d’autres, plutôt que de chercher à anticiper sur d’hypothétiques gains futurs, qui seraient totalement impossibles à prédire.
- Le patchwork fou : encore un principe qui peut faire penser à votre grand-mère si celle-ci avait le goût pour la couture et la récupération de morceaux de tissus. L’image est très forte pourtant : le résultat du patchwork n’est pas connu à l’avance et dépend des personnes qui participe au projet en amenant leur ressource (leur morceau de tissus divers et variés)… Dans le cadre du projet entrepreneurial, avec l’effectuation, l’engagement dans le projet de nouvelles parties prenantes qui peuvent être famille, amis, partenaires, premiers clients, etc. va non seulement fournir à l’entrepreneur de nouvelles ressources (prêt de matériels, de bureau, conseils techniques, mise en relation, …) mais aussi lui ouvrir de nouvelles possibilités. Philippe Silberzahn s’est appuyé sur l’exemple de l’entreprise américaine de location de remorque U Haul dont le fondateur a déployé le réseau de franchise avec ses premiers clients à qui il a demandé d’acheter les remorques louées pour les louer à leur tour. L’engagement de parties prenantes permet d’avoir des objectifs plus ambitieux et montre à quel point l’entreprenariat est un processus social.
- « Quand la vie vous envoie des citrons, faites de la limonade » De cette expression anglo-saxonne qui s’applique à la vie en général et ses surprises bonnes ou mauvaises, on tire un principe effectual également très fort : de nombreuses innovations ont émergé du hasard, voire de l’échec d’un projet initial. Ce principe de l’effectuation invite l’entrepreneur a faire fi des plans et des prédictions, et au contraire à être réceptif aux signaux du marché, rester souple, saisir les opportunités qui se présentent, à tirer parti du hasard et de la sérendipité.
- Le pilote dans l’avion : l’entrepreneur n’est évidemment pas un passager de sa démarche entrepreneuriale, c’est lui qui va donner la direction à son projet, en saisissant les citrons et en sollicitant des parties prenantes, il va adapter son plan de vol en permanence selon les événements qui surviennent et les gens qu’ils rencontrent.
En résumé, dans la démarche effectuale, le projet entrepreneurial démarre avec l’entrepreneur et ses attributs (qui il est, ce qu’il sait, qui il connaît), à partir desquels il peut commencer à imaginer ses premiers buts. Ensuite sa capacité à rassembler autour de lui des parties prenantes, à les engager dans son projet, va non seulement déterminer la viabilité du projet (si personne ne souhaite le suivre, le projet risque de stagner voire de tomber dans une impasse) mais également apporter de nouvelles ressources, moyens, connaissances qui vont entrainer de nouveaux buts, de nouvelles ambitions (avec plus de moyens,…) et donc de nouvelles actions, interactions qui produiront autant de nouveaux produits, services ou marchés… Selon Philippe Silberzahn, la démarche effectuale est éminemment sociale, ce sont les parties prenantes, premiers clients, amis, partenaires, fournisseurs qui vont donner vie au projet !

De l'incertitude naît la créativité

L’effectuation rend possible des projets entrepreneuriaux qui seraient impossibles avec une approche classique causale, car la mise de fond et le risque seraient trop importants… Au contraire, avec l’effectuation, une démarche à petit pas qui constitue au fil du projet un réseau de parties prenantes, il y a un véritable effet de levier qui accélère le projet, tout en constituant parfois une barrière à l’entrée pour de nouveaux compétiteurs qui voudraient s’y lancer.
De plus, en matière de démarche effectuale, ce ne sont pas les prédictions de l’avenir du marché qui vont guider l’entrepreneur (ou devrai-je dire le pilote de l’avion), mais bien au contraire, de l’environnement incertain que vont naître un certain nombre d’opportunités qu’il va pouvoir saisir pour construire son projet : en effet, l’entrepreneur agit dans un environnement qui relève moins d’un risque (au sens où le prennent les assureurs c’est-à-dire un futur dont les événements probables sont estimables statistiquement), mais de l’incertitude c’est-à-dire une situation totalement inédite comme un nouveau marché, une rupture scientifique ou technologique, au sein de laquelle l’histoire ne peut pas servir de guide. L’entrepreneur va donc devoir prendre des décisions et faire des choix dans ce contexte : avec ses moyens disponibles (premier principe de l’effectuation), il va sans doute devoir faire preuve de créativité… Il va sans doute acheter des ressources et des matières premières dont le coût est connu pour les transformer en produit dont le bénéfice est inconnu. Ainsi, selon Philippe Silberzahn, « le profit est la rémunération de l’entrepreneur face à l’incertitude ».
De plus, dans ce contexte flou, lorsqu’un premier client va demander à l’entrepreneur de modifier son produit, celui-ci a tout intérêt à travailler avec lui, à co-construire la nouvelle version, à la condition que le client, nouvelle partie prenante de l’aventure entrepreneuriale s’engage à son tour … par une pré-commande ou encore le prêt de matériel etc. Ce qui est pour l’entrepreneur un moyen de réduire la zone d’incertitude et de dessiner avec ce premier client, élément de son patchwork entrepreneurial, son premier marché… D’autres clients vont le rejoindre et permettre à l’entrepreneur de limiter la zone d’incertitude tandis que leur chaine d’engagements constitue peu à peu les contours du nouveau marché.

Le MOOC s’achève en nous rappelant que dans un contexte de marché connu, une approche causale avec un objectif, une étude de marché et un business plan, a du sens. Mais dans un contexte nouveau, où les clients sont difficiles à identifier, les technologies en rupture, les produits difficiles à définir, l’approche effectuale prend tout son sens : aller vers les autres avec ses propres moyens en limitant ses pertes, tirer partie des surprises, engager des parties prenantes et avancer avec elles est un bon moyen de contrôler son environnement et de façonner son marché… Philippe Silberzahn conclue le MOOC en ré-insistant sur le fait qu’il n’y a pas de limite à la créativité humaine et à sa capacité à transformer son environnement : les principes de l’effectuation ont cette force qu’ils sont accessibles à tous et s’appliquent autant à la création d’entreprise, qu’au milieu associatif, social ou encore à l’intraprenariat, une approche qui a également le vent en poupe dans nos organisations en mal d’innovation…

Pour en savoir plus :

Bien sûr, mon billet n’est qu’une synthèse qui ne saurait être exhaustive et comme toute synthèse, elle comporte sans doute quelques raccourcis… Aussi, pour en savoir plus sur cette approche à la fois passionnante et pleine de promesses, je vous invite :
- A suivre le MOOC sur Coursera
- A consulter le blog de Philippe Silberzahn qui a écrit de nombreux articles sur les principes de l’effectuation